En 1987, émoustillé par les prémisses de ce que l'on appelait  "les nouvelles images" et fâché avec la critique d'art de l'époque, j'ai écrit un Manifeste à la façon des Futuristes de Marinetti. Ce Manifeste faisait d'une part un constat triste des complications de cette décennie ( les années ou le virus du HIV nous enlevait nos meilleurs amis) et tentait sur un mode plutôt cynique de faire l'éloge des mondes virtuels comme lieux de rencontres débarrassés des pollutions terrestres. Le ton était assez lyrique, un brin violent et franchement provoc. J'ai revisité ce texte une première fois dans les années 90 et une deuxième fois, en le mettant en ligne. J'y ai enlevé quelques abus-naïvetés-exagérations (oui, il en reste, je sais). Depuis, j'avoue que, profitant de mon exode en milieu rural, je suis revenu à la peinture à l'huile. Heureusement. Je vous soumets ce texte (qui je crois avait été publié dans une revue qui s'appelait "Création Numérique") conscient qu'il est bourré de défauts.


MANIFESTE DU DATAISME

Face à la violence de la standardisation planétaire qui se répand comme un virus indifférent, devant la tristesse convenue des institutions officielles de l'époque et le vide maniériste des oeuvres défendues dans les galeries, devant aussi l'appauvrissement quasi général des pratiques artistiques traditionnelles inspirées du copié-collé Warholien, dégoûté par ce remplissage du vide par le vide, cet éloge permanent du bling-bling et de la surface, je proclame aujourd'hui la naissance du Dataïsme, les arts de l'écran, inaugurant enfin la ligne de fuite où les parallèles ne se rejoindront pas.
A vos claviers camarades !
A vos stylos optiques !
Nous rentrerons dans les écrans quand les ogives auront commencé à se fissurer !
Répétons : nous assistons bien à une révolution technologique, une vraie mutation formelle et spirituelle qui fait date depuis la découverte de la perspective outre la parenthèse impressionniste de la fin du XX°siècle (dont l'importance avait déjà échappé aux instances officielles de l'époque).
Nous ne faisons que poursuivre notre rêve de gosse. Entrer dans l'image et ne plus en sortir.
Je vous salue Mary Poppins !
Alors...
Que cesse la supercherie des artistes du XXème siècle montés en épingle par quelques porteurs de plumes meneurs de revues en même temps que nous clamons notre existence au vieux système des Beaux Arts! Regardez-le, le misérable se contorsionne encore de quelques spasmes conceptuels agité de vieux tics qui ne sont que de la poudre au nez !
Au diable ceux qui ne se sont pas remis de Duchamp ou de Picasso !
Cessez de nous gaver avec vos piteuses rengaines :
"L'art c'est la vie mon vieux Marcel !"
"Je ne cherche pas je trouve, mon cher Pablo".

Il est probable que les nouveaux espaces poétiques ne naissent plus dans les ateliers entre le tube de rouge, le ciseau à bois ou le bocal de verre mais sur des écrans vidéo, des moniteurs témoins ou des cartes accélératrices moyennant quelques lignes de code et des scripts venus de Java. J’avoue j’en ai bavé, pas vous mon amour ?
Et comme d'habitude bien sûr, car il s'agit bien là d'une tradition psychorigide, les marchands, les collectionneurs, les musées, les officiels des ministères n'ont pas senti le coup venir. Et c'est ainsi qu'ils continuent à masquer piteusement des pans entiers de la création contemporaine par le truchement d'expositions minables où voisinent tant bien que mal des pots de chambre bouffés par des eaux sales, quelques amas de brindilles surmontés de néons américains, une accumulation de cors de chasse déclinant je ne sais trop quel message critique sur la société bourgeoise et un pot de peinture-ture mal séchée pour le plaisir de la référence et le goût de la citation.

Fêtons la libération !
La libération de tout.
La libération de l'argent : on ne prête qu'aux riches ! Yuppies !
La libération sexuelle : le sexe est libéré de l'amour. Vive le plaisir organique !
X-men, X-files, films-X, nés sous X.
La libération de la femme : l'épouse quitte le mari et s’engage dans la police :
"J'avais les boules" déclare-t-elle accoudée au zinc en sirotant une bière. La libération de l'homme : il arrête de fumer, descend s'acheter des m&m et ne revient jamais.
Eso es amor. SOS amor. Amour sous vide of course.

C'est ici que l'écran intervient, non pas comme une lucarne sur ce monde réel caricaturé par lui-même mais comme une porte ouverte sur le profond intérieur de nos espaces mentaux, les lieux imaginaires de rencontres réussies selon des scénarii que nous aurons écrits nous mêmes.
Alors l'univers cathodique des écrans nous invite à explorer des espaces vierges où la trajectoire de l'œil n'a pas de limite, où les mouvements de caméra s'en vont filmer l'infiniment petit, où la matière des choses jusque là inconnue de nous, confère à notre sens du toucher une nouvelle sensitivité. D’innombrables sources de lumière donnent soudain à chaque objet sa dimension spectaculaire. Tout comme nos ancêtres futuristes furent fascinés par les locomotives, nous ne craignons pas de l'être par les écrans. Cette fascination n'ayant d'égal que notre dégoût des sociétés urbaines. Les enfants l'ont compris, ils maîtrisent déjà la machine et se connectent avec la piste aux étoiles des jeux vidéos ou du Net.

On se console comme on peut du monde réel, n’est-ce pas ?
Introversion artificielle. Voici venue la race universelle des hommes Tron, film culte de la génération numérique. "Ciel, mon logis ! " s'exclama le marmot.

Adorateur de Mickael Jackson, premier humain assumant sa vocation de mutant, mi homme-mi transformer, moonwalkant allègrement à la surface de nos croûtes terrestres ! Enfin un noir qui veut être blanc ! Ça en dérange du monde ça madame !…

Dépêchons-nous les disques accélèrent, la machine est bonne à prendre maintenant, il suffit de taper "Enter", de la domestiquer ensuite en l'installant sur le chevet pour une nouvelle danse érotique, un rêve éveillé préfigurant la fusion organique des deux à l'instar de la créature fossilisée d'Alien nouée à son périscope phallique bien après que nous ayons fondu les plombs !

Prière cathodique:
Ripley aide nous à combattre le monstre organique qui sommeille en nous !
Terminator, que l'humour soit avec toi comme avec notre clone !
Max Headroom, venge nous des speakerines!
Lumières abyssales, évitez nous le cauchemar d'un implant mémoriel qui causerait notre perte de contrôle !
Ensemble, plaignons le cinéma réaliste !
E.T, my dear, come back and take me with you!

 

Tout prouve depuis le début que nous partirons de cette planète déjà minée par l'échouage tout à fait regrettable de quelques sous-marins nucléaires ou le transport sous escorte de nos déchets enrichis. Préparons le départ au delà du réel. Nous n'attendrons pas que Mars ou Vénus soient atmosphérisés pour y louer un bungalow en kevlar expansé.

"Viens mon amour je connais un coin tranquille dans un espace virtuel où nous pourrons nous rencontrer à l'abri des regards inconvenants et déjeuner sur l'herbe que j'aurai modélisée rien que pour toi ".
Et la machine répondit dans la langue de Pascal :
"Mets ton disk dans mon drive, chéri, et fais-moi l'amour sans risque ...."

 "Not bad for a human ..." concéda l'androïde dont le corps coupé en deux reposait sur le sol.
Paris, FIN du XX• siècle.






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