La vie ressemble souvent à des mini-scènes de films de Terry Gilliam. Alors voilà, dans le couloir de métro qui sort au n°1 de l'avenue des Champs-Elysées, entre 8h30 et 9h15 du matin il y a un type qui fait la manche en chantant. Il est barbu, les yeux sont bleus, le regard perçant, malin. Son regard est vraiment intense, pourtant il me parait comblé d'un vide intersidéral. Mais la silhouette du gars, sa posture, sa présence en font quelqu'un d'attachant. Je ne sais pas pourquoi, la barbe qui vieillit peut-être. Je ne sais pas. Il chante. Il chante dans ce couloir où défilent au pas de course des yuppies hyperactifs et des secrétaires stressés.
Quand je dis qu'il chante, j'exagère. En fait il simule un chant, une incantation. Sa scansion repose sur trois phrases qu'il va m'être difficile de décrire. Essayons.
La première phrase:
"ouh lalalalala ouhlala ouhlalalalala ouh lala..." avec une insistance légère sur le "ouh" de départ
La deuxième phrase:
"Aïe aïe aîe aîe aïe Aïe aïe aîe aîe aïe Aïe aïe aîe "
La troisième phrase:
"Wa ha haha wa ha haha wa ha haha..."
C'est curieux, le gars n'a aucune idée de ce que c'est de chanter, ni même aucune chanson en tête. Il a simplement la sensation de chanter. Alors, il tend son chapeau.
Evidemment, lorsque j'arrive au bout du couloir, avant de passer les portes vitrées où se concentre le courant d'air, je guette sa voix. Et quand je l'entends, je suis rassuré. Bon, ça ne résoud rien, je sais. Ni la question de la pauvreté, ni son talent de chanteur. Ce qui m'embête c'est que j'ai l'impression qu'il ne me reconnait pas. Le regard est paradoxalement intense et vide. Tant pis j'ai décidé d'appliquer une attitude boudhiste (parait-il) qui consiste à donner une pièce une fois par jour sans se poser plus de question. ma grand-mère faisait pareil. Elle donnait indifféremment. Elle était catholique. Comme quoi. Siu j'ai le courage, je lui demanderai son nom au gars.
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