Il y a toujours un petit pincement, la traversée d’une émotion indéfinie quand on arrive à l’entrée d’une exposition . En particulier quand il s’agit d’un lieu comme le centre George Pompidou. On pénètre dans cet immense hall-cathédrale, on remonte tout Paris lentement par l’escalator qui serpente le long de la façade, on s’éberlue devant cette ville qui ne cesse de s’étendre. La vue est dégagée, on pénètre quelques parois de verre, on longe un long couloir blanc et nous voici à l’entrée de l’exposition entre les piles de catalogues noirs et le contrôle des billets. Puis, première salle, premier texte sérigraphié sur les murs blancs. C’est parti, bonjour Monsieur Soulages.

Les œuvres de jeunesse d’abord —  toujours — quelques  encres sur papier, puis, très vite quelques grands formats. Les salles s’agrandissent, les yeux s’écarquillent. On comprend tout de suite ce qui intéressa très tôt le jeune aveyronnais dans l’exploration du noir. La question de la lumière évidemment, la cohabitation rythmée du plein et du vide, probablement l’idée de l’écriture (du signe dans le sens calligraphique, Barthesien du terme), et aussi la question du rythme et l’implication du corps dans le geste, enfin le thème de l’accident pictural, de l’imperfection d’une quête vertigineuse dont il sait dès le départ qu’elle ne sera jamais assouvie. Il reste cependant dans les premiers tableaux quelques espaces blancs mais très vite l’espace est saturé — nous sommes au premier triptyque exposé dans une pièce noir devant lequel on ne peut s’arrêter que quelques secondes à moins d’obstruer le passage un peu comme devant un mausolée.

Vient ensuite le seul brin de théorisation (le mot est exagéré) de la part d’un artiste qui n’est pas un grand bavard ni un intellectuel, encore moins un théoricien. Il dit que, constatant qu’il avait découvert comme un immense territoire, le terme (concept ? formule poétique ?..) « d’outrenoir » lui était venu comme une évidence pour tenter de signifier cette frontière géographique par lui outrepassée et cet abîme vertigineux où il pourrait s’amuser à retourner la matière jusqu’à en ré-extraire la lumière. C’est là que le raffinement est à son comble ; dans l’inversion sémantique des choses. Soulages redécouvre/réinvente la lumière une fois plongé dans le noir total. La dernière grande salle s’impose donc comme un monument. Au passage, on peut déplorer le plafond perturbant de la salle mais on peut aussi, lorsqu’on visite l’exposition de nuit, s’amuser de la concurrence entre les tableaux suspendus de Soulages et les parois de verre noires de Beaubourg derrière lesquelles on devine le scintillement de la ville et aussi notre propre reflet.

Dernier détail, je suis reparti vers la sortie  en passant derrière une cimaise longue d’une dizaine mètres. Elle était peinte en orange. Vous imaginez ? Un immense aplat orange vif ! Quelle ironie. Derrière chaque cimaise supportant les (faux) monochromes de Soulages, il y avait des monochromes oranges! J’ai adoré ce moment. Il faudrait demander pourquoi au scénographe de l’expo. Et il répondrait sûrement : « PARCE QUE ».




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